Un jour une petite histoire – Le chêne

Un jour une petite histoire – Le chêne

J’aime beaucoup trouver des petites histoires.
Voici celle que je me suis inventée hier dans la voiture, en regardant le paysage danser sous mes yeux…

Je l’ai intitulée sobrement:

« L’histoire du chêne »

Hors d’haleine, Jean tentait de récupérer son souffle. Il avait couru si vite depuis le village que sa poitrine lui faisait mal et l’air lui brûlait la cage thoracique.
Cela le faisait rire intérieurement car il se dit qu’il n’était plus tout jeune.

« Tu commences à te faire vieux, les sprint ne sont plus pour toi mon cher Jean » se dit-il à lui même.
Arrivé au sommet de la colline, il surplombait le village et les alentours, sans être vu car les feuillages cachaient sa silhouette.

Jean se souvint …

De la fois où il s’était réfugié ici à 8 ans parce que d’autres enfants voulaient lui voler ses billes.

Il avait détalé tellement vite qu’il en avait perdu ses billes planqués dans les poches de son bermuda. En tentant de grimper le tronc et de se cacher dans les branches à la hâte, il s’était écorché le genou ce qui lui avait provoqué une vive douleur.
Accroché à sa branche, il entendait au loin les enfants l’appeler en frappant l’air avec un bâton. Tremblant de peur, il s’était recroquevillé sur lui même. A ce moment précis il avait eu l’impression que l’arbre faisait tout pour le protéger et le cacher.

De la fois où il avait lu son premier livre, c’était ici, à l’ombre du chêne. Il faisait beau et chaud, mais des brises d’air allaient et venaient, faisant rouler l’herbe et danser les branches du vieux chêne autour de lui. Le livre s’intitulait « Croc blanc » d’un certain Jack London.

« Comment çà tu n’as jamais lu ce livre? Tu dois absolument le lire Jean ». Elle n’avait pas oublié et lui avait offert pour ses 12 ans.
Il avait dévoré ce livre et s’était assoupi contre les racines de l’arbre, calé en boule comme un gros chat. Ce roman l’avait marqué et lui avait donné des envies d’aventure et même d’hiver, lui qui détestait pourtant le froid.

De retour près du vieux chêne, il se souvint du départ de son frère pour le Vietnam.

De la colline il pouvait voir les voitures passer sur la route et il imaginait que son frère était dedans, lui annonçant que la guerre était fini.
Pour passer le temps, Jean grimpait les branches du chêne pour compter les voitures, il fermait les yeux énumérant dans sa tête : « la troisième sera rouge, 1, 2, 3 … » puis il ouvrait les yeux.
Mais son frère ne revint pas, et Jean ne remonta plus jamais dans l’arbre.

Il cacha la dernière lettre de son frère dans un creux béant de l’arbre. Les écureuils l’ayant chassé, il se décida à l’enterrer prêt des racines. C’est ici qu’il aimait se recueillir et trouver de l’apaisement. Loin du village, loin de ses parents abattus de tristesse, loin des regards indiscrets.

Jean se souvint de son premier baiser, c’était ici avec une fille qu’il avait courtisé pendant des mois. Lui qui n’était pas aisé avait réussi à l’intéresser. Sa timidité l’avait intriguée, il ne la regardait pas comme les autres, comme le font les adolescents.

Jean était un garçon rêveur, qui aimait croquer sur son cahier de dessin. Il avait le sens de l’esthétique et se perdait en contemplation devant la beauté du monde, de son monde.

Cette fille était spéciale, maligne et intelligente. Petite brune aux joues roses et aux grands yeux verts, un air mutin, elle ressemblait à une poupée, mais ses yeux étaient déterminés et plutôt sévères pour une fille de son âge. Certains disaient qu’elle devait s’occuper de son père malade, ce qui l’avait forcé à grandir plus rapidement.
Cette fille lui avait donné un fils et deux belles filles en parfaite santé.

Jean se repassa ces instants de vie dans son esprit le temps de reprendre son souffle.

Ce vieux chêne comme une maison allait être détruit par de nouveaux investisseurs.
Un chêne robuste de 200 ans, écrasé par des machines en moins d’une minute.

Jean était revenu près de lui comme pour dire au revoir à un ancien ami.
Un compagnon de vie qui l’avait vu grandir et mûrir. Qui avait malgré lui pansé ses blessures et écouté longuement sans jugement, le vent muet emportant ses récits au loin

Fin

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